28 octobre 2019 -- La stratégie française de dépistage du cancer du sein est à la croisée des chemins, les décisions urgentes concernant l'utilisation de la tomosynthèse mammaire numérique (TMN, ou digital breast tomosynthesis 'DBT') et de la deuxième lecture numérique des examens étant en attente. Un écart récent par rapport aux normes européennes en matière de contrôle de qualité pourrait toutefois nuire à la sécurité des patients, selon le Dr Luc Ceugnart.
La conception du dépistage du cancer du sein en France est trės différente de la plupart des modèles européens et américains. La France bénéficie d'un taux de détection du cancer supérieur à la moyenne, avec 6,7 cancers pour 1 000 dépistages, contre une moyenne de 5,5 cancers pour 1 000 dépistages dans les pays européens. À l'échelle mondiale, les experts sont indécis sur l'approche française en matière de dépistage, tandis que la communauté de l'imagerie du pays reste impénitente face à ses méthodes.
La force du programme national de dépistage réside dans le fait qu'il est décentralisé, ce qui signifie qu'il peut avoir lieu près du domicile des patients - dans l'un des 2 700 centres de mammographie en France - et peut être adapté au patient, selon Ceugnart, qui est chef du département d'imagerie, au Centre Régional de Lutte Contre le Cancer Oscar Lambret de Lille. L'échographie est systématiquement proposée aux patientes aux seins denses et elle est réalisée lors de la même consultation de dépistage par un radiologue, plutôt que lors d'un rendez-vous de suivi.
En cas d'anomalie, les radiologistes peuvent effectuer un examen complémentaire et notamment la DBT, qui, jusqu'à présent, n'est pas autorisé à des fins de dépistage systématique en raison d'une irradiation supplémentaire s'ajoutant à la dose reçue lors de la mammographie standard.
Contrôle de qualité
Cependant, une décision controversée de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) visant à limiter le contrôle qualité de la DBT a été critiquée par la communauté de l'imagerie.
Plutôt que d'utiliser le protocole complet EUREF (Organisation européenne de référence pour les services de dépistage et de diagnostic du cancer du sein de qualité garantie) pour la DBT, le contrôle de la qualité en France mettra en œuvre un protocole identique pour la mesure de la dose, mais sans mettre en œuvre les protocoles de contrôle de qualité de l'image, selon le Dr Ceugnart.
Le risque est que certains fournisseurs utilisent des doses plus faibles pour être validés. Autorisés mais sans contrôle qualité, la détection des cancers n'est pas assurée, a-t-il déclaré. Ce niveau de contrôle minimal est insuffisant et fait courir des risques pour les patientes, les radiologues, et les vendeurs, a-t-il ajouté.
"Nous aurions préféré conserver la version européenne d'un contrôle de la qualité plus strict sur la DBT, plutôt que la version «légère», qui pourrait s'avérer préjudiciable pour les patients", a déclaré le Dr Ceugnart à AuntMinnieEurope.com.
La DBT est validée pour le diagnostic en cas de résultats anormaux, comme dans la plupart des pays européens. Cependant, la Haute Autorité de Santé (HAS) devrait publier cette année une directive officielle sur l'utilisation de la DBT à des fins de dépistage, après avoir reçu une revue de la littérature sur les performances de la modalité.
Présentant un aperçu de la revue de la littérature lors des JFR 2019, Ceugnart a déclaré que la combinaison de la mammographie et de la DBT semblait produire de meilleurs taux de détection que la mammographie seule. Cependant, des études complémentaires sont nécessaires pour obtenir des résultats plus robustes, notamment en termes de taux de cancer d'interval. Il a également évoqué la possibilité d'images de synthèse générées à partir d'ensembles de données DBT afin d'éviter une exposition supplémentaire aux radiations.
Dépistage sur mesure
L'approche actuelle en matière de dépistage a bien fonctionné en France, selon Ceugnart, qui a animé une séance pédagogique, "On avance: Oui! Mais vers où?", consacrée au dépistage du cancer du sein lors du congrès. Les experts du pays s'entendent pour dire qu'il n'y a pas eu de réel progrès au cours des 12 derniers mois, mais à certains égards, le programme de dépistage en France est déjà en avance.
Alors que d'autres sociétés ont peut-être exprimé des doutes sur les méthodes françaises en les qualifiant de "trop" - en particulier sur le plan financier, la communauté d'imagerie du pays semble satisfaite de sa position notamment vis-à -vis de l'échographie complémentaire, étayée par des études menées à l'étranger ces dernières années.
Par exemple, l'étude ASTOUND (dépistage adjuvant avec tomosynthèse ou échographie chez les femmes ayant des seins denses et avec une mammographie négative) a montré que l'échographie permet une meilleure détection du cancer du sein que la DBT dans les sein denses avec une mammographie normale avec un taux de rappel similaire. Cependant, selon les auteurs, la DBT a détecté plus de 50% des cancers du sein supplémentaires chez ces femmes.
En outre, l'étude J-START (Essai randomisé stratégique contre le cancer au Japon) a révélé que l'échographie d'appoint augmentait la sensibilité et le taux de détection des cancers à un stade précoce.
"Nous faisons de l'échographie adjuvante depuis 20 ans. À cet égard, nous sommes en avance. Cela coûte peut-être plus cher, mais il est plus efficace et nettement plus humain", a-t-il déclaré à AuntMinnieEurope.com. "C'est peut-être le moment pour que d'autres pays commencent à suivre notre exemple."
Pourtant, il reste des problèmes à résoudre, selon le Dr Ceugnart.
La dématérialisation en deuxième lecture dans les programmes de dépistage est également à l'étude et les radiologues français attendent avec impatience les résultats d'une étude sur la faisabilité de la deuxième lecture numérique. L'Institut national du cancer (INCa) expérimente la stratégie sur trois sites en France depuis ces trois dernières années, mais aucun résultat n'a été publié.
Selon le Dr Ceugnart, en l'absence de résultats concrets dus à des retards dans l'expérience, les deuxièmes lectures doivent continuer sur film, ce qui diminue l'intérêt de l'utilisation de l'imagerie numérique en dépistage à court et à moyen terme.